Jill Thiel
PARADISE HILL
Prologue
Karen se réveilla dans une pièce plongée dans la semi-obscurité. La seule lumière qui éclairait une partie de la pièce était une bougie sur le point de s'éteindre.
Elle se sentait barbouillée, vaseuse, limite droguée ou comme si elle se réveillait d'un lendemain de soirée après avoir ingurgité à l’entonnoir de la vodka à ne plus en sentir le goût amer de l'alcool.
Le temps que ses yeux ne s'adaptent à la pénombre et finissent par discerner quelques masses, elle s’aperçut que ses yeux voyaient trouble et voyaient double.
La tête lui tournait. Elle essaya de bouger les mains pour se frotter les yeux mais elle constata qu'elle ne pouvait pas.
Elle était attachée.
Elle entendit un bruit derrière elle, une porte s'ouvrit.
― Inutile d'essayer de bouger.
C'était la voix d'un homme. La voix se voulait rassurante, mais le timbre avait l'air de dire le contraire. Elle crut la reconnaître.
Il alluma une ampoule au-dessus d'elle, elle fit la grimace en clignant des yeux plusieurs fois avant de s'habituer à la lumière. Quand elle les ouvrit, elle put observer la pièce qui l'entourait. C'était un mélange de laboratoire et de salle d'opération. Salle qu'elle connaissait bien, puisqu'elle était infirmière anesthésiste.
La pièce était lugubre et ne devait pas dépasser les vingt mètres carrés. Les murs n'étaient pas habillés, juste de la pierre apparente, mais pas celle décorative au-dessus d'une cheminée, juste de la pierre qu'on n'a pas pris la peine de recouvrir. Elle constata aussi qu'il n'y avait aucune fenêtre, pas même une petite lucarne.
Autour d'elle, il y avait un long plan de travail qui faisait un mur complet. Dessus y étaient soigneusement disposés des serviettes, des tubes à essais, des béchers, des cristallisoirs, un microscope dernière génération et beaucoup d'instruments chirurgicaux. Au fond de la pièce, en face d'elle, plusieurs étagères où étaient entreposés des Erlenmeyers remplis de liquide de toutes les couleurs ainsi que des fioles étiquetées qu'elle n'arrivait pas à lire.
A sa droite, elle vit dans des bocaux des organes comme un cœur, un cerveau, un rein, qu'elle reconnut ; ceux d'êtres humains, ils étaient conservés dans du formol.
Elle croyait vivre un mauvais rêve.
Elle essaya de se tourner pour essayer d’apercevoir l'homme qui se trouvait dos à elle mais sa nuque lui tirait une douleur. Elle s'attendait à voir un type bossu avec des cicatrices sur le visage et des boulons qui lui sortiraient du cou. Mais rien de tout cela, l'homme qui portait une blouse blanche se retourna, il avait un masque blanc qui lui recouvrait la moitié du visage. Celui que portent typiquement les chirurgiens dans les blocs opératoires.
Karen fronça les yeux en essayant de reconnaître ceux qui venaient de se pencher sur elle. Mais il l'aveugla avec une petite lumière pour lui scruter les pupilles. Il écrivit des notes sur son calepin et se retourna sur la table à roulettes pour y prendre une seringue graduée. Avec ses doigts gantés, il tapota dessus et un liquide en jaillit.
― Qui êtes-vous ? Qu'est-ce que vous comptez me faire ? demanda-t-elle en sanglotant.
Mais la drogue devait encore couler dans ses veines. Sa propre voix semblait lointaine, comme plongée dans les tréfonds d'un rêve.
L'homme ne prit même pas la peine de répondre. Il lui planta l'aiguille dans le bras et attendit que la seringue ne se vide complètement. Sous le coup de la douleur, elle se mit à penser à son fiancé qui devait probablement la chercher partout, à ses parents qui devaient s'inquiéter. A vrai dire, elle ne savait pas depuis combien de temps elle avait disparu. Elle ne se souvenait pas de grand chose, juste qu'elle se trouvait à l'hôpital, son hôpital, son lieu de travail, puis ce fut le trou noir.
― Je viens de t'injecter une dose de curare dépolarisant. Tu ne pourras plus bouger du tout mais tu pourras voir tout ce qui va se passer. Enfin je ne t'apprends rien.
Elle sentit ses muscles se relâcher à ne plus pouvoir s'en servir. Elle était consciente mais ses muscles semblaient morts. Elle était prisonnière de son corps. Cette fois c'était vraiment la même sensation que la paralysie du sommeil. Et elle espérait vraiment être en train de rêver. Mais la douleur dans son bras avait paru trop réelle pour être imaginée par son subconscient.
Une jeune femme entra. Elle aussi portait une blouse et un masque, elle devait avoir une dizaine d'années de plus que Karen.
― Est-ce que tout va bien ? demanda le type.
― Numéro 4 n'est pas en grande forme Docteur. Je pense qu'il ne passera pas la nuit.
Il remua la tête en se tournant de nouveau vers sa table à roulette, il y prit un scalpel et le scruta pour jauger le tranchant.
― Puisque tu es là, prépare-moi la sonde d'intubation.
La jeune fille exécuta l'ordre tel un assistant ou une infirmière.
Il jeta un œil à sa patiente, et posa la pointe sur le côté droit de son ventre rond. Rond de huit mois et demi. Il y fit glisser son instrument aiguisé, la peau se mit à saigner laissant entrevoir une coupure nette et profonde faisant tout le bas du ventre. Karen ne sentit rien, ne pouvant bouger la tête, elle n'avait aucune idée de ce qu'il était en train de lui faire.
L'ouverture béante de la césarienne faite, il y plongea ses mains pour en sortir un bébé. Il paraissait en bonne santé mais ne pleurait pas. Il coupa le cordon ombilical sous l’œil impuissant de sa mère qui hurlait probablement dans sa tête. Il lui mit une tape sur les fesses et le petit être se mit à gémir. Aussitôt l'homme le mit dans un lange propre et le posa délicatement dans les bras de la jeune femme qui quitta la pièce.
― Il va bien ne t'en fais pas, nous allons en prendre soin. Mais maintenant je vais m'occuper de toi.
Il se tourna vers sa table et prit une scie chirurgicale. Il se déplaça sur sa chaise à roulettes pour se positionner derrière la tête de la nouvelle mère puis lui posa la scie sur le front.
Si effectivement il allait prendre soin aussi bien de son bébé que d'elle, alors pour sûr qu'il allait mourir.
Chapitre I
30 ans plus tard.
― Êtes-vous sûre de vouloir acheter cette maison Madame Weston ? demanda Odile Rappemont de Rappemont Immobilier.
― Aussi sûre que je viens du Dakota du Sud, répondit Rylee tout sourire en se tournant vers sa nouvelle demeure.
L'agent immobilier boudinée dans son tailleur mauve haussa les épaules.
― Bien comme vous voudrez. Vous savez dans votre budget j'en ai des beaucoup mieux. Enfin je dis ça, c'est votre problème après tout si vous voulez vivre avec des fantômes, ça vous regarde.
― Avec des fantômes ? répéta Rylee.
La grosse dame haussa de nouveau les épaules en retirant la pancarte « à vendre » qui était plantée depuis des années dans la motte de terre à côté du portail en bois. Portail pour le moins inutile étant donné qu'il n'y avait plus de clôture depuis bien longtemps.
― Des gens disent qu'ils ont vu et entendu des choses pour le moins mystérieux, comme des cris, des pleurs, enfin ce genre de choses quoi. Mais ce n'est que des on-dit, si on se met à écouter tous les ragots du village, alors dans ce cas mon mari me tromperait avec cette débauchée de Sophie, la patronne du salon de coiffure en ville.
En voyant le physique de son agent immobilier, Rylee n'en aurait pas été étonnée si ç’avait été le cas.
Courage monsieur.
― Nous signerons le compromis demain, reprit Odile en secouant la tête. (Elle marqua une pause). Bon sang je n'en reviens pas qu'elle soit vendue, c'est Tony, mon associé qui ne va pas me croire. Paradise Hill est en vente depuis au moins trois décennies. Elle a beaucoup de potentiel, avec un bon coup de peinture, quelques travaux d'isolation, elle sera comme neuve.
Odile ne savait pas si elle essayait de se convaincre elle-même en disant cela.
― A ce propos, qui viendra céder la vente ?
― Ce sera nous. La maison n'ayant aucun légataire, c'est la ville qui nous a donné procuration.
Rylee secoua la tête en signe d’acquiescement.
La grosse dame au chignon en banane, entra dans sa Chrysler non sans mal. Si Rylee avait eu du beurre, elle n'aurait pas hésité à l'utiliser pour l'aider à la faire glisser à l'intérieur.
― Vous venez du Dakota vous dites. Mais qu'êtes-vous venue faire jusqu'à la Nouvelle-Orléans, le Mont Rushmore ne vous plaisait plus ?
Bien sûr, tous les habitants restaient plantés bêtement devant le mémorial des sculptures monumentales des quatre Présidents. Quel cliché. Elle venait d'un village bien au-dessus et très modeste : Pine Ridge. Autant dire que lorsqu'elle quitta sa ville natale, pour partir faire ses études au Dakota State University à Madison au dessus de Sioux Fall, ce fut comme un second souffle pour elle. L'université était presque plus grande que sa propre ville.