Davy Artero

HEPTAGON

Grimoire des Sept Branches

Acte I - Hérétiques

Prologue

In Sorte Deus1

Mercredi 16 décembre – 15h33

Il n’a aucune idée du temps qu’il lui reste avant que tout ceci ne cesse enfin. Il soulève légèrement la manche de son épais manteau et regarde ce qu’indique sa montre. La nuit ne fera son apparition que dans trois heures. Il soupire. Il va falloir attendre patiemment, mais ça, il en était conscient depuis ce matin. Il est assis sur un vieux banc de bois sombre, aux multiples traces de coups et de griffures. Vêtu d’une longue parka noire à capuche, il regarde la fine lame du long couteau qu’il tient dans sa main droite.

La lumière pénètre par de petites et longues ouvertures en haut des murs. Sûrement d’anciens accès pour déposer le charbon dans cette partie de la cave. Lorsque la luminosité sera moindre, il prendra un des cierges dans la caisse posée près du banc et l’allumera avec son briquet, puis il allumera un à un ceux qu’il a disposés méthodiquement dans la pièce. Il ne fumait pas, mais il avait toujours un briquet dans son manteau au cas où. Tout comme le couteau qu’il portait en permanence à la ceinture depuis quelque temps. Il ne s’en était jamais servi jusqu’alors, tout du moins pas de cette façon.

Un frisson l’envahit. Il fait encore bon en ce milieu d’hiver, mais rester dans la même position pendant de longues minutes le rend sensible au moindre courant d’air. Il lève le talon de ses grosses chaussures de cuir noir et commence à remuer machinalement ses jambes, comme s’il battait la mesure contre la grosse caisse d’une batterie imaginaire, puis il fait parcourir machinalement un à un les doigts de sa main gauche sur la pointe de la lame. Il y a encore de fines traces de sang le long du fil jusqu’à la garde.

Il regarde le corps immobile de son ami allongé sur le ventre, tout près du banc, les mains bien à plat sur le sol composé de dalles grises. Son corps gît dans une mare de sang, qui s’étend derrière son cou, où viennent se refléter les quelques rayons de soleil provenant de l’ouverture la plus proche. Ainsi se termine la courte vie du Grand Prêtre autoproclamé. Ils n’avaient plus besoin de ces appellations ni de cette pseudo-hiérarchie. Tout ceci n’avait plus aucun sens désormais.

Il parcourt la pièce des yeux. Elle doit faire six mètres de large et le double de long, la hauteur ne doit pas excéder trois mètres. Chaque paroi est constituée de larges pierres grises et blanches. Le plafond est légèrement incurvé, comme on le faisait beaucoup à l’époque. Cet endroit a dû faire une parfaite cave pour entreposer des fûts de vin, c’est du moins ce qu’il s’imagine. L’accès se fait par le petit escalier de pierres tout au bout de la pièce, presque face au banc.

Son regard se porte à nouveau sur le corps au sol, puis sur la large porte en bois près du banc où il est assis. Il l’avait fermée à clé. C’était leur salle. Il n’ira pas aujourd’hui.

Vers le milieu de la pièce se trouvent deux larges piliers en marbre. Un de chaque côté, à un mètre de leur mur respectif. Une vieille caisse de bois, contenant divers petits outils qu’il avait utilisés tout à l’heure, se trouve devant le pilier droit. Ligotée au pilier gauche, son autre victime bâillonnée est encore inconsciente.

Il ne pensait pas que le produit l’assommerait autant de temps. Il a même cru un court instant qu’elle n’avait pas survécu à la deuxième injection une fois arrivée ici et que tout son plan tomberait alors à l’eau.

Elle devait rester vivante, c’était sa seule préoccupation. D’ici quelques minutes, elle commencerait à bouger puis à se réveiller, il le sent.

Il pose le couteau sur le banc, près du gros livre à la couverture épaisse sur laquelle est dessinée une sorte d’étoile difforme à sept branches, la même que celle présente sur l’écusson de son manteau. Il remet la capuche sur sa tête. Il ne faut pas qu’elle le voie et le reconnaisse. Pas pour le moment.

Le produit qu’il a bu avant de s’asseoir lui avait chauffé fortement la gorge et il s’était mis à saliver un long moment avant de ne plus avoir cette sensation de brûlure. Il n’a pas encore essayé de parler, mais il sait que sa voix sera méconnaissable, le produit ayant attaqué quelque peu ses cordes vocales. Ultime autoflagellation avant que le reste de sa machination se poursuive.

Il croise les bras et baisse la tête. Il lui reste un peu de temps pour profiter du silence et méditer.

Comment tout ceci a pu dégénérer à ce point ? À quel moment ont-ils tous perdu leur bon sens ?

En attendant le réveil de sa victime, il essaye de se remémorer l’histoire de leur clan. Un nouveau frisson l’envahit. Ce n’est pas la fraîcheur de la pièce ou son manque de mobilité qui en est la cause. C’est juste l’appréhension de se rappeler trop clairement certaines choses.

 

1 Dans le destin de Dieu

 

HEPTAGON

Grimoire des Sept Branches

Acte II - Hématomes

Prologue

In Tempore Infelicis1

 

Un autre trait a rejoint les milliers d’autres sur le pourtour en pierre et a commencé à être recouvert d’une fine pellicule de poussière. Il n’est pas encore assez près de la surface. Il s’en approche. Il parvient désormais à ressentir ce qu’il y a autour, même ce qui n’est pas fait de roche. Ce n’est pas suffisant. Encore un peu de patience. Il aurait pu devenir fou dans cette étroite geôle depuis toutes ces années. Sa hargne était si forte, sa colère si intense, qu’il avait su résister aux éventuels égarements. Dire qu’ils pensaient l’anéantir, ces pauvres fous ! Par leur faute, il n’était plus qu’un corps éthéré, coincé sous une épaisse couche de minerais compacte, mais il vivait encore.

Un jour, il parviendra à quitter cet endroit. Il le sait. Il retrouvera alors cette apparence charnelle, difforme et repoussante aux yeux de ces pauvres êtres humains et ils comprendront tous leur erreur. Ils avaient échoué. Pour l’instant, la tâche n’est pas aisée. Il doit se concentrer et user de son emprise pour parvenir à ses fins et il sent qu’on lui résiste. Il lui faut une âme plus perméable.

L’évasion sera bientôt possible, il le ressent et il a hâte. Être à nouveau dehors, debout. Piétiner la terre fraîche du monde actuel, respirer l’air de ce nouveau siècle et entamer enfin sa vengeance. Car tel est son seul et unique but, sortir et laisser pleinement exprimer sa rage. Le temps a poussé sa colère à son paroxysme et il n’y a qu’un seul moyen de l’apaiser, c’est de la laisser éclater.

Il y aura sans nul doute un horrible carnage. Il s’en délecte déjà.

1 Au temps du bonheur

HEPTAGON

Grimoire des Sept Branches

Acte III - Hécatombes

Prologue

Fine Mundi1

 

Le monstre relève doucement la tête et scrute le paysage de ses yeux perçants. À travers l’épaisse brume orangée à l’odeur fétide, il peut apercevoir de nombreuses ombres difformes aller et venir. Ce sont ses proies, devenues d’humbles serviteurs sans âme qui ne cessent de décimer tout ce qu’ils trouvent. Les êtres vivants se font rares, mais ses sbires continuent de chercher, car c’est leur unique but, trouver de la chair fraîche et tendre à se mettre sous leurs canines acérées.

Lorsqu’il n’y aura plus aucun être vivant, ses esclaves putrides commenceront à se dévorer entre eux. Les plus forts contre les plus faibles. Lui aussi devra se mettre à les étriper, un à un. Et ensuite, que fera-t-il ? Qu’adviendra-t-il de lui lorsqu’il n’aura plus aucune nourriture ? Il ne sait pas. Il avait une telle soif de vengeance, il était si préoccupé à semer la terreur et le chaos qu’il ne s’est jamais réellement posé ces questions. Il verra en temps voulu.

Le brouillard se dissipe légèrement. Des habitations en ruine, des carcasses de véhicules et divers objets abandonnés jonchant le sol se dévoilent peu à peu. Un monde de désolation à l’atmosphère suffocante. Son monde, celui qu’il a créé en quelques années et qui, lorsqu’il le voit, lui procure une extrême jouissance. Le résultat de sa revanche sur tous ces humains qui le répugnaient tant. Un bien beau résultat.

Ses narines se dilatent soudainement. Il sent une odeur de transpiration humaine. Il devine qu’elle provient d’êtres effrayés et inquiets. L’odeur vient du sud, à un kilomètre à peine, peut-être moins. Il se lève. Un cri rauque et puissant sort de sa gorge. Les autres comprennent immédiatement, ils vont suivre leur chef à la peau de cuir rougeâtre.

Un horrible rictus se dessine sur son visage difforme. Il savait bien que la fin n’était pas encore pour aujourd’hui.

1 La fin du Monde

 

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