Frayeurs, Davy Artero

Prologue

     Il referme la porte menant à la cave et vient tranquillement s’asseoir dans son fauteuil préféré, placé à quelques pas de la cheminée. Cette dernière comporte quelques bûchettes prêtes à être allumées au cas où le froid reviendrait sans crier gare. Même si le printemps est bien installé depuis quelques semaines, il peut toujours avoir une baisse de température en fin de journée qui l’oblige à remettre la cheminée en route. Sa demeure étant assez ancienne, les fluctuations de température se ressentent rapidement à l’intérieur. Mais ce soir, il n’a pas l’impression qu’il va avoir besoin de s’en servir.

     Les mains posées sur les accoudoirs en bois, il attend que son cœur reprenne un rythme normal. Cette journée de travail fut harassante et il était grand temps qu’il se repose. Seulement rester à ne rien faire n’est pas une chose qu’il parvient à effectuer.

     Il se lève et se dirige dans sa chambre. Il ouvre le tiroir de sa table de nuit et en sort l’unique livre qui s’y trouve. Il revient dans la salle, allume le lampadaire à côté du fauteuil, puis il se rassoit.

     Il regarde la couverture et fait la moue devant le titre intriguant.

     Frayeurs… Un titre prometteur ou une arnaque marketing ?

     Lui qui d’habitude lit des ouvrages de vulgarisation scientifique, principalement sur le monde animal, il a souhaité découvrir un autre type de littérature. La libraire où il s’est procuré ce livre lui en a dit le plus grand bien, mais peut-on vraiment se fier à une femme qui semble vouer une grande passion pour tout ce qui est gothique ? Il verra bien. Au pire, il le rapporte demain et il s’arrange pour prendre un autre livre à la place. Un roman peut-être. Pas sûr qu’un recueil de nouvelles comme celui-ci lui convienne. Il a été faible. Il a cédé aux doux yeux de cette libraire vêtue de noir.

     Il tourne le livre et parcourt rapidement la quatrième de couverture. Cette dernière prétend que les différentes histoires qui se trouvent à l’intérieur sont terrifiantes.

     Vraiment ?

     Il en faut beaucoup pour le terroriser. Aussi loin qu’il s’en souvienne, il n’a jamais réellement été terrifié.

     Sauf ces derniers temps…

     Non, il réfute cette idée. Ce qu’il a ressenti ces jours précédents, c’était plus de l’appréhension. Une sorte de peur de l’inconnu ou de la nouveauté, ce qui est tout à fait normal et bien loin d’un sentiment effrayant qui vous glace le sang.

     Il se cale bien dans son fauteuil, place une jambe par-dessus l’autre et feuillette les premières pages du livre jusqu’à ce qu’il arrive au titre, précédé du nom de l’auteur.

     Allez, vas-y, fais-moi peur maintenant !

 

Le poing de la colère

 

     Obscurité et bruit. Voilà ce qu’est ma vie depuis plusieurs années. Je vis du vacarme que je génère et tous ces corps qui s’agitent dans l’obscurité ont fait de moi un homme riche et idolâtré.

     Je presse un bouton, décale un curseur et lève le bras. Le public hurle alors qu’une nouvelle boucle stridente sort des enceintes et que les basses retentissent à deux cents battements par minute.

     J’approche un verre d’eau de mon visage, je soulève légèrement mon masque pour pouvoir insérer le bout de la paille entre mes lèvres. Les gens ne le savent pas, mais je perds pratiquement cinq litres d’eau par prestation. Basculer d’un disque à l’autre, mixer en direct et produire de nouveaux sons selon l’attitude du public, c’est épuisant. Il faut être dans de bonnes conditions physiques et se préparer comme un sportif avant chaque set.

     Il y a du monde ce soir dans cette discothèque, bien plus que lorsque j’y ai démarré quand j’avais une vingtaine d’années. Le public est différent, enjoué, il me vénère même. S’ils savaient…

     J’ai toujours adoré la musique et j’ai toujours été fasciné par les artistes qui apportaient de nouveaux sons dans leur composition. J’amassais les vinyles et je passais des heures à les écouter sur mes deux platines dans ma chambre d’étudiant. Puis un soir, un peu plus éméché que d’habitude, j’ai pris deux galettes et je les ai joués en même temps. À un moment, les rythmes entremêlés des chansons m’ont procuré un frisson étrange et agréable.

      Souhaitant retrouver cette curieuse sensation, j’ai posé mes doigts sur les disques et, chose que je n’aurai jamais faite en temps normal tant je prenais soin de mes vinyles, je les ai fait tourner en sens inverse, le saphir encore posé sur le sillon. Ce fut le déclic. J’ai passé le reste de la soirée à jouer les titres en accéléré, à mélanger les genres, à jouer certains passages à l’envers.

     Dès lors, je me suis mis en tête de devenir disc-jockey et de faire découvrir les curieux mix que je parvenais à faire. J’étais jeune et pas vraiment préparé à entrer dans cet univers si particulier. Ma toute première prestation, encore sous mon véritable nom et à visage découvert, je l’ai faite ici même. La discothèque n’avait pas le même décor à l’époque, mais c’était le même patron. Un fils de riche arrogant au brushing impeccable. Je ne sais plus trop ce que j’ai joué, sûrement du funk et du rock, mais je me rappelle bien que le public n’était pas très vivace sur la piste. Impressionné et nerveux, mes tentatives de mix furent désastreuses. Elles provoquèrent des sifflets dans la foule, et un arrêt avancé de ma prestation par le patron, furieux. Plutôt que de suspendre mon set en douceur pour revenir à la programmation musicale gérée par son ordinateur, il a pris le micro et m’a humilié devant tout le monde. Un vrai connard irrespectueux. J’ai été mis dehors manu militari, mon matériel et mes disques sous le bras, presque jeté comme un malpropre par les vigiles. Je suis reparti la gorge serrée, avec le moral plus bas que terre.

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