Humanité en Danger, Christian Perrot

 

PROLOGUE

Tristan Rocrid courut se réfugier dans le premier immeuble rencontré sur sa trajectoire irréfléchie. Grimpant les marches aussi rapidement que possible, il gagna l'étage le plus haut. Essoufflé par sa longue fuite, il se glissa sous un bureau et s'y recroquevilla, tremblant de peur autant que de fatigue.

Fermant les yeux, il se laissa bercer par ses souvenirs. Il repensa à la succession d’évènements qui l'avait conduit à venir se terrer ainsi dans un lieu abandonné. Quelques jours à peine avaient jeté à bas sa vie et même l’existence de l'humanité toute entière.

L'explosion de la technologie débutée au XXe siècle s'était développée de manière exponentielle. Après Internet et les mondes virtuels, la robotique avait évolué rapidement avec la miniaturisation et la puissance des ordinateurs. Toujours plus sophistiqués, toujours plus autonomes, les systèmes robotisés s’étaient immiscés dans la vie quotidienne du plus pauvre au plus riche des individus. Conscients du danger intrinsèque de ce genre d'instruments, les scientifiques comme Tristan Rocrid s'étaient inspirés des romans de science-fiction de leurs aînés pour imposer les notoires Lois de la Robotique à leurs créations.

Au nombre de trois, ces règles inflexibles du comportement des robots à l’égard des Humains avaient été développées dans une série de textes signés du célèbre Isaac Asimov en 1940 :

Première Loi :

Un robot ne peut porter atteinte à un être humain ni, restant passif, laisser cet être humain exposé au danger.

Seconde Loi :

Un robot doit obéir aux ordres donnés par les êtres humains, sauf si de tels ordres sont en contradiction avec la Première Loi.

Troisième Loi :

Un robot doit protéger son existence dans la mesure où cette protection n’est pas en contradiction avec la Première ou la Seconde Loi.

Forts de cette incontournable protection interne, les nouveaux dispositifs devenaient pleinement utiles. Rapidement dépassés par le nombre de systèmes à conserver journellement opérationnels, les scientifiques construisirent un cerveau-ordinateur relié par ondes à la totalité des robots et appareils analogues disséminés à la surface du globe. Lui aussi bridé par les fameuses Lois, ce dernier devint un garde-fou derrière lequel la population se rangea, même les plus septiques.

De ce laxisme vint la catastrophe. Avec une implacable logique toute mathématique, l'ordinateur planétaire arriva à la conclusion que la méthode la plus fiable pour protéger l'Espèce Humaine en vertu de la Première Loi était d'enfermer tous les gens dans leurs demeures en ne leur laissant d'autre choix que de vivre paisiblement, assisté par les milliers de robots à leur service constant.

Bien évidemment, rares furent les hommes à accepter de se voir parqués comme de vulgaires animaux et ils se soulevèrent en masse contre les machines. Une guerre s'ensuivit, aussi mortellement brève qu’elle fut violente. Finalement, après d'innombrables pertes dans les deux camps, le cerveau-ordinateur fut détruit. Privé de guide, les robots autonomes redevinrent les assistants dévoués et serviles des hommes.

Tout aurait pu finir ainsi, les programmes pouvaient se voir corrigés en intégrant le paramètre en question, et la vie reprendre son cours immuable. Hélas, c'était sans compter avec les phénomènes de folie collective. Aveuglée par la haine et la colère, l’humanité s’attaqua aux robots devenus honnis pour les détruire sans autre forme de procès. Dans sa fureur, la foule démantela bientôt tout appareil technologique tombant entre ses mains, qu’il soit robotisé ou non.

Voyant le carnage s’étendre à la surface du globe, un noyau de scientifiques dirigés par un certain Lionel Vyrard se regroupèrent rapidement pour emporter tous les robots encore intacts à l’abri dans l’attente de la fin des hostilités. Afin de mieux les soustraire à la folie dévastatrice de l’humanité, les savants déposèrent leur cargaison sur une île inhabitée loin de toute cité.

Leur programmation les rendant incapables de comprendre la situation, les robots questionnèrent leurs créateurs en les voyant repartir :

« Maîtres, comment allons-nous pouvoir vous servir si vous nous abandonnez ici sans moyens de vous rejoindre ?

— Maintenez-vous en état de fonctionnement et attendez-nous sur cette île, avait répondu Lionel Vyrard. Vous pourrez certainement nous servir de nouveau dans le futur. Nous reviendrons vous chercher dès que possible ! »

Obéissantes, les machines s’étaient inclinées, en un ensemble parfait, dans un signe d’acceptation des ordres.

Malheureusement, à leur retour chez eux, les scientifiques découvrirent leur erreur de jugement. Loin d’avoir calmé les esprits, leur acte de protection des robots avait transféré sur eux une partie de la fureur destructrice de leurs compatriotes. Ces derniers les accusaient d’avoir projeté une future invasion des machines. Les savants eurent beau répliquer que les robots étaient de nouveau inoffensifs et que l’Espèce Humaine aurait certainement encore besoin d’eux pour réparer les innombrables dégâts engendrés par la foule déchaînée, aucune parole ne parut atteindre les cerveaux enfiévrés. Le massacre des systèmes électroniques se transforma alors en chasse à l’homme dont les scientifiques devinrent les proies. Lapidations et meurtres s’étendirent à la surface du monde. Même ceux qui n’avaient jamais pris part à aucune étude sur la robotique furent la cible de la véhémence planétaire, forçant la plupart à se cacher et à fuir.

Tristan Rocrid sursauta brusquement : un bruit venait de le tirer de sa rêverie. Il n’était pas pleinement revenu au temps présent que des mains se refermèrent sur lui tandis que des lumières dansaient devant ses yeux en l’éblouissant.

« Nous t’avons rattrapé ! hurla une voix haineuse d’homme.

— Traître à l’humanité, ami des robots ! s’écrièrent d’autres individus.

— À mort, à mort ! »

Les cris de douleur de Tristan Rocrid furent couverts par les rires de ses bourreaux…

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