William Lucas
Elle, qui rôde
L’INCONNUE À MES CÔTÉS
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Peut-être vaudrait-il mieux que vous ne croyiez pas un mot de ce que j’’écris. C’est sans doute mieux pour vous, pour vos certitudes et dans une certaine mesure, votre santé mentale. Pour la mienne, il est trop tard.
Vous pourrez toujours essayer de me retrouver pour confirmer ou infirmer mes dires, j’aurai disparu depuis longtemps le temps que ces pages arrivent entre les mains imprudentes d’un quelconque lecteur. Le comique de la chose finalement est que j’ai déjà disparu depuis un moment finalement. Comique ou tragique, vous en jugerez à la fin de votre lecture.
Pourtant tout ce que je vais écrire est vraiment arrivé, du moins est-ce ce que je crois sincèrement au moment où je rédige ces quelques lignes. Quant à savoir si cela m’est arrivé à moi ou à un autre moi, un autre lui, ou elle, j’avoue que je m’y perds un peu.
Quand vous aurez fini de me lire, vous aurez compris comme moi que certains faits nous échappent et qu’il n’est pas nécessaire pour l’homme de tout comprendre, que certains secrets devraient demeurer cachés à jamais.
Je n’hésite pas à dire qu’il est préférable d’être totalement ignare.
Quant à chercher à fuir son destin, est-il rien de plus chimérique ? L’homme cohabite avec des créatures qui lui sont supérieures, avec des desseins qu’il ne peut comprendre. La folie guette l’orgueilleux qui prétend attiser la flamme du savoir, le fat qui pense être maître de sa destinée. Nous ne sommes rien, la béatitude heureuse car niaise est la seule façon d’envisager le laps de temps que nous perdons sur Terre, je ne le sais que trop maintenant.
Au moment des faits, je m’appelais encore Richard Gallois, j’affichais 38 ans, et j’étais marié depuis 9 années heureuses à Lise. Nous n’avions pas d’enfant, non que nous ne commencions vaguement à y songer mais, l’âge avançant, il y a fort à parier que nous n’en aurions pas eu. Vous notez bien évidemment que j’emploie le passé, vous comprendrez pourquoi bien assez tôt.
Nous menions, mon épouse et moi, une vie tranquille dans un petit village du centre de la France, dans une demeure isolée et calme.
Est-ce le silence qui a fini par agir sur mes nerfs ? La forêt et ses mystères ?
Toujours est-il que durant une période de congés – étant enseignants tous les deux nous disposions d’un temps assez conséquent durant l’été – je me mis en tête, désœuvré que j’étais, de creuser un bassin dans le jardin, et je me voyais déjà couler de vieux jours heureux en bouquinant tout en comptant d’un œil à moitié endormi par la digestion les poissons qui viendraient taquiner la surface.
Lise me laissa dire, elle savait très bien que ce n’était certainement qu’une nouvelle lubie, à ranger à côté de la collection de timbres inachevée, de l’étagère à chaussures à moitié montée et que les premiers coups de pioche passés,un tour de rein quelconque me ferait remiser les outils pour un certain temps. Évidemment, et en temps normal, elle n’aurait pas été loin de la vérité. Mais cette fois, sans que je puisse dire pourquoi, c’était sensiblement différent.
Aussi fut-elle surprise lorsqu’elle constata que je m’y tenais et que, au fil des jours, des suées et des ampoules aux mains, le bassin commençait à prendre forme. Je n’avais pas fait les choses à moitié, me renseignant dans divers magasines de bricolage (c’était bien la première fois que de telles revues finissaient entre mes mains) quelles étaient les dimensions raisonnablement envisageables pour un ouvrier seul, dans un laps de temps de quelques semaines. Tout prévu vous dis-je, et je riais sous cape devant l’air interloqué de mon épouse.
J’espérais simplement qu’aucun impondérable ne survienne, afin d’éviter des reports interminables autant que des regards sarcastiques insupportables car largement mérités. J’étais en vérité moi-même surpris du sérieux et de la rigueur de mon entreprise, il n’y avait pas que la volonté puérile d’impressionner madame, il fallait que je mène à bien ce projet, j’avais la très nette sensation qu’il ne s’agissait pas simplement d’un quelconque bassin pour poissons rouges.
Mais, bien évidemment, un impondérable survint, en la présence d’une espèce de surface minérale intensément noire contre laquelle ma pioche rebondit dangereusement au beau milieu d’un après midi.